Yann Perreau

Il était une fois dans l’Ouest – IX

Il fait une chaleur mexicaine. A cette heure de l’après-midi, le thermomètre maison indique 31. En descendant l’escalier du sous-sol, Nicky attrape son téléphone dans sa poche de chemise fleurie et jette un œil sur Instargame. Un message écrit blanc sur noir attire son attention. Le ton est grave.

« On était assises à une table au fond du bar. Elle avait bu, pas moi. Elle jouait dans mes cheveux, j’étais super mal à l’aise. Elle disait qu’elle m’emmènerait à sa maison de campagne et qu’elle me gaverait comme une oie. Elle me parlait d’une voix full sexu… Elle a pris ma main et elle a sucé mon doigt. Puis elle s’est approchée de mon oreille et m’a chuchoté un truc pas cool du genre : ‘’Toi, à part être aux femmes, t’es quoi? J’ai dit : « Musulmane. » Elle a répondu « Dommage! » en couinant comme un porc. Puis elle a ri en serrant mon bras tellement fort que j’ai eu les trous de ses ongles dans la peau pendant dix jours. 

C’est pas parce que l’individu en question est une fille et qu’elle pèse 100 livres que ces agissements ne sont pas toxiques. Ça fait longtemps que j’ai cette soirée en travers de la gorge, c’est aujourd’hui que je la crache. Salut Frédérique-Emily Champagne-Duclos. ».

Frédérique-Emily Champagne-Duclos est l’une des femmes les plus en vogue du showbiz québécois. Elle s’est fait remarquer du grand public au début des années 2010 dans une émission de télé-réalité. 

Nicky, lui, l’a connu quelques années plus tard sur un show du matin à W. Le nouveau papa, était ravi de regarder l’émission animée par cette jeune femme rayonnante dès 5h30, tout en berçant bébé Henry qui, lui, aussi la préférait à Caillou. 

Devenue actrice de cinéma et égérie de grandes marques, Champagne-Duclos a tout pour elle : charismatique, drôle, élégante, simple, décontractée…

Que des rumeurs circulent, c’est normal dans une vie de star, surtout quand la star est un oiseau de nuit, mais ce qui vient d’arriver ici est un cataclysme. Champagne-Duclos vient d’être called out, en direct sur Instargame. It’s a next level damage control affair comme disent les spécialistes en communication.

Déjà, les likes et les commentaires s’accumulent par centaines, voire par milliers, c’est la tempête sur Déballe ton sac, nouveau compte apparemment dédié à donner une voix aux victimes de violences sexuelles et psychologiques. 

Le post dévastateur est signé par Samina, une jeune et talentueuse chanteuse que Nicky respecte et qui fait partie de la même compagnie de disques que lui. D’une autre génération, il la connaît peu… Et si c’était un canular? Nicky a perdu le fil de l’humour millénial…

Curieux, Nicky écrit à Big Dady. Homme à tout faire au label, peut-être est-il en mesure de l’éclairer sur le sérieux de la chose. 

-Yo Big! As-tu lu l’post de Samina? 

-Je sais man c’est capoté

Courte réponse sans ponctuation ; très étrange venant de la part de Big Dady, habituellement plus expansif, surtout lorsqu’il s’agit d’hommerie, sa répartie est grandiose.  

Clair que ça brasse au bureau, Big Dady doit être en zoom 911 avec les autres. 

Se frayant un chemin jusqu’à l’espace de rangement, Nicky a une pensée compatissante pour Gemini qui, en plus d’être attaché de presse, gère Samina (elle doit être dans tous ses états, la pauvre). Nicky n’ose pas imaginer la tourmente. 

Arrivé au fond du bazar, Nicky se prend un coup de barre sur la tête. Le plafond est bas. Il s’accroupit en petit bonhomme et prend un grand respire. La cave est fraîche. Il aime cette odeur de terre humide. Ça lui rappelle la maison de son enfance au bord du fleuve lorsqu’il descendait jouer au Cowboy et à l’Indien dans le soubassement avec Oscar, son voisin. « Pow! Pow! T’es mort, Cheyenne! » au son du vinyle d’Il était une fois dans l’Ouest de son grand frère Gaston. Nicky se relève, essayant de comprendre ce qui vient de se passer…

Méticuleux, il récupère les valises en s’assurant que rien du bordel autour ne s’écroule. Ça tient bon, c’est stable.  » Oh que ces vacances tombent à point!  » 

Il pense au séjour chez les grands-parents qu’ils n’ont pas revu depuis le Jour de l’An. Ce matin, l’excitation était à son comble. « Plus que deux dodos! » Les enfants comptent et recomptent encore. 

Et les amants ont bien besoin d’oxygène. Ces derniers mois de confinement leur ont demandé beaucoup de résilience. Chez la belle-famille à Québec, Nicky et son amoureuse pourront prendre du temps pour eux, peut-être même s’évader en duo quelques jours sur l’Île d’Orléans. Une excitation gamine remonte en Nicky quand il songe au Rocher-Blanc chez oncle Paco, dans le Bas-du-Fleuve, puis à la Maison Rouge chez Tonton Crevette de l’autre côté de l’estuaire. « Yeah! »

Requinqué à l’idée de prendre le large (et pressé d’aller faire une sieste), Nicky monte les marches, chargé comme un âne. Manque de pot, il échappe une valoche dans l’escalier. Au bout de la dégringolade, une roue s’est brisée.

SUITE, MARDI PROCHAIN…

(Dessins générés par l’IA)

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