Yann Perreau

Les oiseaux – V

Pas un nuage dans le ciel. Avec l’humidité, la température ressentie doit approcher 35 degrés Celsius ; Nicky sue à grosses gouttes. Ca coule dans ses yeux, ça brûle…

S’épongeant les orbites tant bien que mal en étirant son bandana imbibé jusqu’aux yeux, sa vue revient peu à peu. A tâtons, il s’introduit dans la forêt pour un peu de fraîche. Dans un petit sentier dissimulé entre les talus de fougères. La zone est escarpée ; sa montée improvisée se fera lentement… Son lendemain de veille le rattrape. Pour s’éviter l’escalade d’une paroi trop dangereuse, il doit franchir une vieille clôture bringuebalante à hauteur des aisselles ; prouesse qui lui permettra de parvenir au palier ultime de la montagne.  

En plus d’avoir réussi à traverser la barrière de métal rouillé sans s’empaler, Nicky est content de retomber sur ses pattes sans foulure, ni écorchure, mais le choc de l’atterrissage l’étourdit et lui donne la nausée. Nicky éteint la musique. Derechef, cette voix qui le chatouille.

« Fucking smoke. Quand j’bois, j’fume trop. Quand je sniffe, c’est pire. Faut qu’ça arrête! » 

Mi-ange, mi-démon, il aperçoit la tête de la croix surplombant la cime des arbres. Il pense à sa mère et à ce mantra qu’elle lui faisait répéter, petit, et qui comme par magie, l’aurait guéri d’une pathologie d’amygdalites récurrentes. (Les antibiotiques à saveur de bananes ne faisaient qu’intensifier les amygdalites de Nicky ; c’était son impression. Alors la fameuse formule, magique ou pas, il l’a apprise par cœur. Rien à perdre ; il aurait mémorisé et chanté la Bible tellement ces saletés de tonsillites à répétitions le faisaient souffrir.) 

« Ne sous-estime jamais la Force des Mots. » lui disait d’une voix rassurante, sa Marie-Ange de mère rebelle et croyante. Depuis l’épiphanie donc, à toutes les fois que Nicky ressent un malaise, le mantra remonte en lui. Comme un psaume :

« Plus rien ne s’oppose à ma Chance. Je consens à devenir un Canal ouvert par lequel ma Divinité s’exprime et se répand. »

Mais Nicky a beau marmonner l’incantation et respirer profondément, hélas, ce qu’il craignait se précise : il se butte au mur du marathonien.

Normalement, ce phénomène physiologique redouté de tous les coureurs survient entre les 30e et 37e kilomètres. Nicky en n’est qu’à son 5 ou 6e, reste que son état de faiblesse / détresse est le mêmeA quelques mètres du pied de la croix, caché dans les herbes hautes, il s’installe en position de petit bonhomme à l’écoute de son corps ; son corps qui lui parle de gnôle, de dope, de clopes… Nicky ravale sa salive, psalmodiant les mots de sa tendre mère… Trop peu, trop tard : il ouvre les vannes.

-Arghhh… Pteuhhh!

Marie-Ange dit aussi que chaque nuée d’oiseaux qui nous survole incarne la présence d’anges protecteurs. Nicky est de nature sceptique, pourtant, partout où il pose son regard, les oiseaux s’envolent. Et lui se sent plus léger.

À la fontaine – qu’une famille a désertée elle aussi en l’entendant débagouler dans les buissons – Nicky se gargarise, hydrate le cheval un bon coup avant de poursuivre son expédition autour du Lac aux Castors.

Il a repris du poil de la bête, mais les rayons du soleil au trois quarts de leur érection conseillent à Roi de la Montagne de retourner trotter à l’ombre. Bonne idée. 

Inspire / expire, l’haleine à faire se cacher les écureuils, l’étalon rose apprécie la descente dans la rumeur sourde des sous-bois : symphonie pianissimo de moqueurs chats, de bruants chanteurs, de Pic bois et d’autres oiseaux que Nicky ne connaît pas. Mais quelle chance d’habiter près d’une montagne en pleine ville, se réjouit-il. Espace de toutes ses méditations, la petite forêt est le refuge préféré de Nicky. Comme un rappel de sa campagne natale.

Enivré par la beauté de ce qu’il oit, Nicky a une pensée pour Tante Blanche, fan de Mohamed Ali et précieux collaborateur qui l’a incité à créer Je regarde en-haut, son hymne aux oiseaux, devenu un morceau phare de son répertoire. 

-Les oiseaux sont partout dans tes lyrics, pourquoi tu leur écrirais pas une tune?! J’ai composé la musique. Pars avec ça et reviens au studio quand t’es prêt.

Nicky n’écrit pas souvent sur commande (et il n’a rien d’un boxeur), mais il aime jouer et surtout, la musique que Tante Blanche a composé lui a plu tout de suite. La semaine suivante, survolté comme un entraîneur au coin du ring, Tante Blanche dirigeait la session vocale de Nicky en pointant l’affiche de Mohamed Ali sur le mur de vieilles planches derrière la console de sa grange-studio. « Go! Go! Go! It’s happening, mate! » Poussée au cul, la rockstar quarantenaire a joué le jeu et livré autant qu’elle a pu.

La chanson a ouvert la voie au succès de son dernier album, Bonasse bad ass, à ce jour, le plus populaire de sa discographie. Au bout de vingt-cinq ans de métier, un peu de gloire est bien méritée, se targue fièrement vieux Nicky qui, sur le pilote automatique, se mouche dans les airs.

(On sort le gars de la campagne, mais pas la campagne du gars. Sa douce Emily le lui rappelle souvent.) 

SUITE, JEUDI PROCHAIN…

(Dessins générés par l’IA)

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2 réponses
  1. Quand je lis ce blogue, les images apparaissent instantanément et pourtant on s’est pas vu souvent.😁. Mes trois nouveaux mots: débagouler, bringuebalante et le verbe ouïr que j’apprendrai à Emily-Rose.
    Que crois qu’il manque un mot dans la phrase du paragraphe ( inspire/expire)
    …et d’autres oiseaux qu’il ne connaît pas même ____ Nicky a grandi à la campagne.
    Un si où je suis peut être complètement dans le champs aussi.
    Au final, ça se lit très bien et j’ai déjà hâte à jeudi prochain 💓
    Sly xx

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